Cédons à l’exercice des vœux et formulons pour le logement des souhaits à réaliser en 2019. Certes, la tradition nous y incline, mais surtout le logement en a besoin : les deux années passées auront été mises sous le signe de la fin de l’estime et elles auront préparé des temps troublés, annonçant une moindre vigueur du marché sur tous les segments et un rapport des ménages à l’immobilier moins serein que naguère. Deux lois de finances successives ont dégradé le cadre économique, une grande loi civile, l’ELAN, a créé des moyens nouveaux pour le relancer. Le marché a déjà perdu de son souffle et il faudra du temps avant que les modifications de l’urbanisme et des règles du jeu de la construction n’opèrent. Cet effet de ciseau est préjudiciable. Il témoigne de la volonté réformatrice du président Macron, mais aussi de l’incapacité du gouvernement à discerner ce qu’il ne faut pas casser sous peine de compromettre la santé du secteur. Par dessus tout, les discours tenus au sommet de l’État sur le logement ont témoigné du désamour de nos dirigeants du moment envers l’immobilier.

Alors que doit changer 2019 ? Essentiellement la considération de l’exécutif envers le logement et sa lucidité sur les logiques à l’œuvre. Les logiques d’abord : sans l’allant des communes et des maires, pas de permis de construire, pas d’activité. Et sans visibilité fiscale pour les élus locaux, conditionnant les ressources nécessaires à l’apport de services aux nouveaux habitants, pas de volonté de développer les villes. Il faut que 2019 soit l’année de la restauration de la confiance entre l’État et les collectivités. Au cœur des tensions, le financement de la suppression de la taxe d’habitation. Fallait-il faire ce choix ? Sans doute le président de la République le regrette-t-il secrètement... Une hypothèque de près de 30 milliards à lever. Pierre Méhaignerie, qu’on se rappelle comme un grand ministre de l’équipement et du logement de la fin des années 80, toujours maire de Vitré en Ile-et-Vilaine, écrivait dans une tribune aux Échos parue le dernier jour de 2018 que la mort de la taxe d’habitation sonnait le glas du lien entre les habitants et leur maire, préjudice supplémentaire.

Toujours dans les logiques imparables : les organismes HLM méritent qu’on reconnaisse qu’ils accomplissent leur mission, avant de les accuser de vivre grassement sans souci des économies d’échelle et de la saine gestion. On verra aussi si les objectifs décrétés d’en haut de cessions de logements sociaux (40.000 par an) sont réalistes, ou si l’État s’est fait plaisir sans prendre la mesure des réalités de terrain.

Dernière logique que la disruption macronienne n’a pas abolie : les corps intermédiaires sont aussi indispensables à la relation entre les décideurs et les citoyens que les tendons pour lier les muscles aux os. En nier l’utilité est une erreur totale, manquassent-ils de modernité, d’intelligence parfois, ou leur sens de l’intérêt général fût-il insuffisant. Après tout, ils sont ce qu’ils sont et il appartient à l’État de discerner entre leurs revendications. N’empêche qu’une loi, l’ELAN par exemple pour le logement, ne donnera rien sans la complicité du bâtiment, des promoteurs, des constructeurs de maisons individuelles, des agents immobiliers, des administrateurs de biens, des HLM.

La considération politique enfin est le cœur du sujet. La liste est trop longue des marques de mésestime envers le logement. Les mots malheureux de 2018 révèlent non pas de la maladresse, mais une méconnaissance profonde de ce que vivent les Français quant au logement, qu’on parle des investisseurs, des accédants à la propriété ou des locataires. Les 5 euros d’APL qui ne seraient rien dans un budget domestique, la réduction des loyers d’autant qui ne pénaliserait pas les bailleurs, la rente, le patrimoine immobilier qui ne créerait pas de richesse pour le pays, le pognon de dingue des aides au logement, la donation de nue-propriété qui ne servirait qu’à duper le fisc pour payer moins de droits - dernière saillie en date au parlement dans les dernières heures de 2018 -, tout cela doit disparaître. La liste n’est pas exhaustive. Mais des esprits forts peuvent-ils évoluer ? Monsieur Macron peut-il inverser son regard sur le logement ? S’il ne le fait pas par vertu, il le fera par calcul : à la clé, de précieux points de PIB et des milliers d’emploi, en plus ou en moins, selon que la parole présidentielle sera affectueuse ou rugueuse. Il sait bien, lecteur de Ricœur, le prix des signes. Tiens, un petit jeu de mot lacanien pour bien commencer l’année : Ricœur, ris cœur ! Que l’État cesse de se crisper en évoquant le logement. Qu’il y voie un domaine gratifiant de l’action publique, où l’euro investi rapporte le double, et surtout le sourire des ménages, des plus pauvres aux plus riches.

Une anecdote que l’intéressé me pardonnera de révéler, 25 ans après : le même Méhaignerie, que j’avais servi, me convie à un moment convivial au ministère de la justice, Place Vendôme, en avril 1993 pour célébrer avec des proches sa nomination au poste de Garde des Sceaux. Je lui demande en aparté s’il est heureux de ce poste, et il me réponds : "Je ne serai jamais aussi heureux que je l’ai été comme ministre en charge du logement. Là, ce que tu fais, tu en vois directement le résultat et les gens te remercient. Ici, tu gères beaucoup de négatif, même si la cause est au fond supérieure." Qu’en 2019 ceux qui nous gouvernent soient heureux de s’occuper du logement des Français. Ils le leur rendront bien.